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Des plages tarifaires électricité de moins en moins vertes et adaptées

La Belgique, singulièrement la Wallonie et Bruxelles, n’est pas en avance sur le plan du déploiement du compteur intelligent, lequel permettrait pourtant d’encourager la clientèle à consommer préférentiellement lorsque l’énergie instantanée est bon marché, c’est-à-dire lorsque la production renouvelable instantanée est abondante. Eh oui, la loi du marché implique de « tendre » vers un prix instantané de production égal au coût marginal de production de l’unité active la plus chère à ce niveau. Donc lorsque la grosse majorité de la production est réalisée à l’aide d’unités éoliennes ou photovoltaïques, au coût marginal quasi nul, il ne sera pas nécessaire d’activer les unités aux coûts marginaux de production les plus élevés.

La loi du marché promeut donc naturellement l’intégration du renouvelable et c’est une excellente chose ! A condition toutefois de pouvoir récompenser les comportements « vertueux », ce qui implique idéalement une mesure plus précise des périodes de consommation…et donc l’installation de compteurs intelligents.

 

Mais le secteur n’a pas attendu l’avènement des compteurs intelligents pour encourager un comportement « plus vertueux ». Il recourt depuis longtemps à des plages horaires figées,  appelées  « heures pleines » et « heures creuses ». En proposant une tarification différenciée entre heures pleines et heures creuses, les gestionnaires de réseau de distribution comme les fournisseurs d’énergie incitent les clients à consommer préférentiellement durant les heures dites creuses.

La Région de Bruxelles-Capitale, comme la plupart des zones wallonnes et flamandes, a opté pour les cycles suivants :

  • Heures pleines : les jours de semaines, hors jours fériés légaux, entre 7h et 22h (soit 15h)
  • Heures creuses : les samedis, dimanches et jours fériés légaux, ainsi que les autres jours de semaines entre 0h et 7h ainsi qu’entre 22h et 24h (soit 9h).

Ce choix découlait exclusivement d’une logique de demande : l’électricité est naturellement plus chère lorsque la demande est élevée. Cette logique se justifie totalement pour un parc de production capable de calibrer sa production en fonction de la demande…. mais elle est de moins en moins adaptée dès lors qu’une part croissante du parc consiste en des unités renouvelables produisant uniquement quand les conditions climatiques le permettent, ce qui est le cas des unités éoliennes et photovoltaïques. Il faudrait donc en principe aussi tenir compte d’une logique d’offre.

Les questions à se poser sont « à quel point  le niveau de production renouvelable belge dégrade-t-il déjà aujourd’hui le signal prix statique lié aux heures pleines et heures creuses ? » et, le cas échéant, « est-il envisageable, avec le même outil statique, de proposer des plages horaires plus adaptées au contexte actuel ? ».

Pour répondre à cette question,  j’ai effectué une analyse précise des prix instantanés de l’énergie en Belgique (Belpex) sur la période courant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020  [il est nécessaire d’envisager une période de 12 mois roulants vu que la toute grosse majorité de la clientèle est relevée annuellement en l’absence de compteur intelligent].

Deux principes découlant des plages heures pleines – heures creuses actuelles doivent être vérifiés :

  • Les prix instantanés moyens observés les samedis, dimanches et jours fériés légaux sont-ils effectivement plus faibles que ceux observés durant les jours de semaines classiques ?
  • Les prix instantanés moyens observés aux différentes heures de la journée sont-ils effectivement plus élevés dans la tranche 7h-22h ?

Le premier principe reste largement vérifié mais je souhaite présenter ici ce qu’il advient aujourd’hui du deuxième principe.

Vous trouverez 4  paires de tableaux / graphiques , présentant les prix moyens horaires du Belpex, respectivement

(*) sur les 12 mois

(*) sur les mois proches du solstice d’hiver : novembre, décembre, janvier, février

(*) sur les mois proches du solstice d’été : mai, juin, juillet, août

(*) sur les mois proches de l’équinoxe : mars, avril, septembre, octobre

La tranche « xh » signifie « de xh00’00’’ à xh59’59’’ »

Les tableaux présentent les prix horaires par ordre décroissant, les 9 heures présentant les prix les plus faibles étant indiquées en vert.

Qu’observons-nous ?

  • Sur la période de 12 mois, les heures creuses 22h et 23h ont un prix moyen plus élevé que les heures pleines 14h et 15h (avec une quasi égalité entre les tranches 6h et 13h)
  • Pour le « solstice d’hiver », les heures pleines et creuses sont vérifiées dans la pratique (il y a juste une quasi égalité entre les tranches 21h et 22h)
  • Pour le « solstice d’été », les heures creuses 0h, 6h, 22h, 23h ont un prix moyen plus élevé que les heures pleines 13h, 14h, 15h et 16h
  • Pour l’ « équinoxe », les heures creuses 0h, 6h, 22h et 23h ont un prix moyen plus élevé que les heures pleines 12h, 13h, 14h et 15h (avec une quasi égalité entre les tranches 12h et 16).

Nous pouvons évidemment en déduire une influence  de la production photovoltaïque, très fortement corrélée avec la courbe astronomique du soleil : cette production est très faible durant les mois d’hiver et elle n’impacte donc pas la logique heures pleines et heures creuses élaborée en l’absence de production renouvelable ; cette production est nettement plus importante en été mais on constate dès les mois d’équinoxe  un impact significatif avec une diminution du prix de l’énergie durant les tranches horaires de pleines production, centrées sur 13h-15h.

Certes, il s’agit d’une analyse ponctuelle portant sur une période fixe, mais il est certain que nous obtiendrons des résultats largement similaires pour toute nouvelle période de 12 mois roulants analysée.

En conséquence – et indépendamment du déploiement du compteur intelligent – il serait hautement profitable, tant du point de vue de la logique économique que dans la perspective de promouvoir l’énergie photovoltaïque, d’adapter les plages horaires statiques tout en maintenant le principe « 15h pleines – 9h creuses » pour les jours de semaines classiques.

La recommandation la plus simple (car elle ne nécessite pas d’adapter la fréquence de relève, annuelle aujourd’hui) serait de prendre l’une des deux alternatives (la seconde favorisant davantage l’intégration du photovoltaïque) :

  • Heures creuses = 0h-6h et 14h-15h pour toute l’année
  • Heures creuses = 0h-5h et 13h-15h pour toute l’année

Une telle adaptation peut être implémentée sans délai car il suffit de programmer ponctuellement la modification des plages des baies de télécommande centralisées activant les transitions heures pleines – heures creuses.

Le gros avantage est de nous permettre de consommer à bas prix l’énergie produite localement dans le quartier, même si nous ne sommes pas nous-même producteurs ! C’est bon pour le portefeuille, c’est bon pour les gestionnaires de réseau, c’est bon pour la planète ! En effet, beaucoup de personnes l’ignorent, mais quand les chaînes de télévision nationales encouragent à consommer l’énergie solaire (invariablement) à 14h, cela n’a de sens économique que pour les propriétaires des panneaux (qui, eux, vont auto-consommer), mais c’est une aberration économique pour leurs voisins qui, eux, consomment aujourd’hui (en semaine du moins) en heures pleines à 14h !!!

Il pourrait être rétorqué que le fait de modifier les plages horaires induira un déplacement significatif de la charge dans la tranche 13h-15h, lequel aura une répercussion à la hausse sur les coûts d’énergie durant cette tranche. Il y aura certes un impact mais il est d’une part difficilement quantifiable et il sera d’autre part contrebalancé par la poursuite du déploiement des panneaux photovoltaïques en Belgique, telle qu’ambitionnée par les autorités.

Remarque :

L’incidence de la production éolienne est imperceptible, dans la mesure où les cycles de production éoliens ne sont pas du tout corrélés avec des plages journalières figées. Ceci étant, compte tenu du volume de production éolienne belge (équivalent en capacité, nettement plus important en énergie produite, comparé à l’énergie photovoltaïque), ce qui vient d’être présenté doit nous encourager à analyser sereinement  l’intérêt d’une tarification plus dynamique afin de profiter pleinement des plages horaires à bas coûts générées par une énergie éolienne abondante.